Dominique Broc, une audience en shit libre

Cannabis pour tous ?dossier
Justice. Le porte-parole des Cannabis Social Clubs a utilisé son procès, hier, comme tribune politique.
par Willy Le Devin, Envoyé spécial à Tours
publié le 8 avril 2013 à 22h26

Parfois, la justice fait de drôles de clins d'œil. La 17e chambre du tribunal de Tours, où était jugé hier Dominique Broc, porte-parole national des Cannabis Social Clubs, fait office à la fois de cour d'assises et de tribunal correctionnel. Un petit écriteau le mentionne discrètement sur la porte. C'est justement de cela dont il a été question à l'audience : Broc doit-il comparaître devant un tribunal correctionnel pour les chefs qui lui sont actuellement reprochés de «détention et usage de cannabis» ? Ou est-il passible de la cour d'assises spéciale prévue pour les producteurs de stupéfiants ?

«Pudding». Interpellé mi-février après que la police a saisi à son domicile 126 plants de cannabis et 26 grammes d'herbe, Broc a fait valoir la seconde option dans ce qui ressemblait plus à un combat politique qu'à une joute juridique. «Les Cannabis Social Clubs prônent une consommation régulée et raisonnable de la marijuana. Ils produisent eux-mêmes ce qu'ils fument pour ne pas recourir au marché noir. Il est donc à tout le moins hypocrite de ne pas poursuivre les faits de production et d'envoyer le prévenu devant la juridiction compétente ! tonne son avocat, Philippe Baron. Dominique Broc est courageux, car il se pose en désobéisseur civil. Il fait partie des 200 000 cannabiculteurs français. Osons le vrai débat sur l'obsolescence de la loi. Et s'il était avant-gardiste ?»

Puis d’invoquer, grandiloquent, les combats gagnés en leurs temps par Rosa Parks (lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis), les 343 salopes (manifeste pour l’IVG en 1971) ou Henry David Thoreau (apôtre de la non-violence). Dans la salle, les soutiens de Broc applaudissent. Ce qui n’est pas du tout du goût du président qui menace de faire évacuer.

Broc réarme : «Il y a aujourd'hui 4,5 millions de personnes consommant du cannabis en France. Celles-ci sont réduites à l'illégalité, car le gouvernement refuse le débat sur la dépénalisation. Combien de temps allons-nous continuer à faire l'autruche ?» «Ce débat est bien joli, recadre le procureur, mais en l'état actuel des choses, ce que vous faites est illégal. Et ce n'est pas votre pudding intellectuel qui peut le légitimer. De plus, vous êtes, par vos multiples appels publics, dans l'apologie et l'incitation à la consommation. Il est donc du devoir du ministère public de vous poursuivre en vertu du principe d'opportunité.»

Relativement tendue, la passe d'armes s'assagit quelque peu lorsque la défense présente au tribunal ce qu'elle qualifie «d'évidences». Philippe Baron cite avec délectation le rapport publié à l'été 2011 par «l'ancien ministre de l'Intérieur et donc chef des policiers», Daniel Vaillant. «La France est le deuxième pays d'Europe en matière de consommation de cannabis chez les adolescents alors que nous disposons d'une des lois les plus sévères. Est-ce logique ? Le vrai laxisme dans cette histoire, c'est le statu quo législatif. Qu'aura-t-on réglé en condamnant Dominique Broc ?» vitupère-t-il.

Cercueil. Dehors, environ 150 adhérents et sympathisants des Cannabis Social Clubs font un sit-in et fument des joints devant les forces de l'ordre. A la vue des caméras, ils exhibent un cercueil sur lequel est inscrit : «Prohibition 1970-2013.» Fort de «cet engouement populaire», Broc reste droit dans ses bottes. «J'assume tout et je peux même vous dire que je continuerai à planter du cannabis quoi qu'il arrive», lance-t-il au président. Le procureur requiert huit mois de prison avec sursis, plus deux autres pour soustraction de prélèvement ADN. Le jugement a été mis en délibéré au 18 avril.

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