Cannabis. Demain la légalisation ?

  • 21 Oct 2013
  • Par : Jules Crétois
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Cannabis. Demain la légalisation ?

Il y a peu, le sujet suscitait la méfiance de la classe politique. Mais les arguments du Collectif marocain pour l’usage médical et industriel du kif ont fini par convaincre plusieurs élus et partis. La question sera même étudiée au parlement.

Le militant associatif rifain Chakib El Khayari, 34 ans,  s’amuse d’être à Rabat, qui plus est pour y rencontrer les membres d’un parti politique. “Il y a peu, les histoires de kif, de cannabis, c’était réservé aux fous et aux Rifains. Mais là tout a changé.” En 2009, El Khayari a été condamné à deux ans de prison, accusé entre autres de discréditer les efforts déployés par les autorités marocaines dans la lutte contre le trafic de drogue. Ce week-end d’octobre 2013, l’ancien prisonnier est invité en tant que membre du Collectif marocain pour l’usage médical et industriel du kif (CMUMIK) par le Parti authenticité et modernité (PAM). Objectif de la réunion : préparer une journée d’étude sur le cannabis au parlement.

Joint venture

Le CMUMIK réunit une quinzaine de militants, chercheurs, médecins et étudiants. Il a été créé en 2007 à l’initiative de deux petites associations des droits humains basées à Tétouan et Nador, notamment l’Association du Rif des droits de l’homme (ARDH), dont El Khayari est le président. Plusieurs organisations internationales soutiennent le collectif dans sa démarche, parmi lesquelles le Congrès mondial amazigh et l’Association des populations des montagnes du monde, ainsi que la très sérieuse Coalition européenne pour des politiques justes et efficaces en matière de drogues (ENCOD).

En mai dernier, le CMUMIK a publié un “Modèle de proposition de loi visant à légaliser la culture et l’usage thérapeutique et industriel du kif”. Le document est composé, comme il se doit, d’un préambule et de 109 articles de loi. Un long travail d’enquête sur le terrain et de compilation d’informations a été nécessaire pour mettre au point ce texte, peaufiné avec des spécialistes aux Pays-Bas. Le sérieux de la démarche n’a visiblement pas échappé aux groupes parlementaires du PAM et du Parti de la justice et du développement (PJD), qui ont contacté le collectif au mois de juillet. Les parlementaires du tracteur n’y sont pas allés par quatre chemins. A l’issue d’une rencontre mi-juillet, ils ont annoncé au collectif qu’ils voulaient travailler à un projet de loi sur la base de leur modèle. Le 16 juillet, ils ont publié un communiqué pour faire savoir que des discussions avaient été engagées entre le PAM et le CMUMIK. Chakib El Khayari ne cache pas son enthousiasme : “Deux gros partis, qu’on dit rivaux, nous ont contactés, et aucun des deux ne s’est dit gêné que son adversaire politique soit aussi entré en contact avec nous. C’est la preuve pour moi que la question du cannabis n’est pas partisane”.

L’Office du kif 

Le but du CMUMIK est clair : changer la loi ­u 24 avril 1954, qui interdit la culture et la consommation de cannabis. “Tout le monde y gagnerait”, assure Chakib El Khayari. En premier lieu, les petits paysans du Rif. Les membres du collectif, dont la plupart vivent dans la région, les connaissent bien. “Leurs conditions de vie sont désastreuses. Ils gagnent peu d’argent et, par peur des arrestations, ils fuient les administrations. Du coup ils ne disposent même plus de carte nationale, de couverture sociale, ni d’aucune aide de base de l’Etat. La plupart sont pris en otage par les trafiquants”, explique El Khayari. Le collectif assure que la plupart des agriculteurs sont réceptifs au principe de légalisation.  

En guise de premier pas, le CMUMIK propose de légaliser l’usage industriel du cannabis, qui serait employé dans la fabrication d’isolants ou dans le textile. Un tel usage requiert des plantes à faible teneur en THC (molécule possédant un caractère psychotrope), afin d’empêcher leur tansformation en produits stupéfiants. Pour ce qui est de l’utilisation médicale du cannabis, Chakib El Khayari concède que sa mise en place est un petit peu plus compliquée. En effet, les plantes utilisées à des fins thérapeutiques possèdent forcément une  teneur en THC plus élevée.

El Khayari est donc entré en contact avec des médecins pour étudier les cas spécifiques qui pourraient faire l’objet d’une prescription. En revanche, l’usage récréatif du cannabis est absent du modèle de loi élaboré par le CMUMIK. Les amateurs de joints repasseront.

Le collectif propose également la création d’un “Office national du kif” pour en gérer la culture et le commerce. Cet établissement serait le seul client des cultivateurs de cannabis, idéalement organisés en coopératives, et revendrait à son tour les récoltes sur le marché national et à l’étranger. El Khayari argumente : “Aujourd’hui, l’Etat dépense de l’argent pour combattre le cannabis. Nous, nous proposons qu’il en gagne. Ce serait comme inverser une balance commerciale déficitaire.”

L’impossible éradication

Réaliste, le collectif ne prétend pas mettre fin à la culture illégale de cannabis et au trafic. Chakib El Khayari est pragmatique : “Les cultures sont là et les plans imaginés jusque-là ont échoué. Il s’agit juste de sortir un maximum d’agriculteurs de l’illicite”. Il cite un rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), qui démontre l’échec des politiques de destruction des champs de cannabis et de développement de cultures alternatives. D’où cette idée centrale du CMUMIK : “Orienter la culture plutôt que chercher à l’éradiquer”. Motivé par l’intérêt que suscite son modèle de loi, le collectif pense aujourd’hui à un “plan stratégique” pour accompagner la légalisation du cannabis. Ce plan pourrait notamment prévoir une régulation des ventes de graines de cannabis, la mise en place d’un impôt sur les cultures, ou encore l’ajustement avec les lois et normes européennes.

Le groupe parlementaire du PAM, de son côté, est en train de finaliser, avec l’aide du collectif, les préparatifs d’une journée d’étude au parlement, prévue en novembre 2013. Le député du PAM Mehdi Bensaïd explique : “Nous allons inviter des experts étrangers, parler des retombées économiques et sanitaires. Par la suite, nous recueillerons les recommandations des parlementaires et nous présenterons un projet de loi largement inspiré du modèle mis en avant par le collectif”. Bensaïd croit qu’il est possible de parvenir à une “entente cordiale au sein de la classe politique” pour faire avancer le débat au plus vite. Il en veut pour preuve l’intérêt de plusieurs élus à droite comme à gauche. Abdelhalim Allaoui, député du PJD, Nourdin Moudiane, député de l’Istiqlal, ou encore Tariq Kabbage, le maire USFP d’Agadir, sont les plus engagés sur le sujet. La classe politique fumerait-elle le calumet de la paix pour régler la question du cannabis ? 

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