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Légalisation du cannabis : le Luxembourg enfume l’ONU


Le gouvernement a passé sous silence le fait que la légalisation du cannabis récréatif "viole" la Convention de l'ONU sur les stupéfiants. Cet obstacle juridique ne doit cependant pas condamner le projet. (Photo illustration AP)

Le projet de légaliser le cannabis au Luxembourg va à l’encontre de la convention de l’ONU sur les stupéfiants. Le texte limite l’usage à des fins scientifiques et médicales.

L’enthousiasme affiché le 17 mai dernier par le ministre de la Santé, Étienne Schneider, flanqué du ministre de la Justice, Félix Braz, risque de prendre un coup. Tout juste de retour d’un voyage d’études au Canada, les deux membres du gouvernement ont fièrement confirmé leur volonté d’avancer rapidement sur la légalisation du cannabis. L’exemple canadien, pays où le cannabis est légalisé depuis octobre 2018, doit servir de base pour la réalisation du même projet au Grand-Duché.

Il reste toutefois d’importants obstacles juridiques à franchir, qui, jusqu’à présent, ont été passés sous silence par le gouvernement. La Convention unique de l’ONU sur le contrôle des stupéfiants, à laquelle le Luxembourg a adhéré en 1972, est très claire sur l’utilisation des drogues illicites. L’article 4 de ladite convention arrête en effet que les pays signataires « prendront les mesures législatives (…) nécessaires (…) pour limiter exclusivement à des fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, l’exportation, l’importation, la distribution, le commerce, l’emploi et la détention des stupéfiants ». Le cannabis fait partie de la liste des substances placées sous la tutelle de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), basé à Vienne.

« Aucune dérogation n’est permise »

La volonté du Grand-Duché de légaliser le cannabis récréatif est donc clairement opposée à l’engagement pris pour limiter l’usage de cette substance à des fins médicales ou scientifiques. Contacté par Le Quotidien, l’OICS confirme que « la légalisation du cannabis à des fins non médicales par un État parti à la convention de 1961 constituerait une violation manifeste des obligations juridiques qui lui incombent ». Cette limitation reste « un principe fondamental auquel aucune dérogation n’est permise », ajoute encore l’OICS.

Il est à préciser que la convention prévoit bien des dispositions pour autoriser la culture et la production de cannabis, le tout sous le contrôle restrictif de l’État. L’OICS confirme toutefois qu’« il s’agit d’une disposition prévoyant les conditions devant régir la production de cannabis à des fins médicales et scientifiques seulement ».

Le projet de légaliser le cannabis récréatif au Luxembourg est-il donc condamné avant même d’avoir vu le jour ? A priori, la réponse est non. Interrogé par nos soins, le ministère de la Santé précise que « le Canada a légalisé le cannabis récréatif tout en étant aussi parti de la convention ». Cela ne change pourtant rien au fait que « le gouvernement canadien s’est mis délibérément en situation de faillir à ses obligations internationales », comme le souligne l’OICS dans son rapport annuel de 2018.

La tournure diplomatique pour répondre à l’OICS, rédigée par le ministère de la Santé, en étroite concertation avec le ministère des Affaires étrangères, est que « le Luxembourg reste engagé en ce qui concerne la mise en œuvre des conventions et reste ouvert à discuter avec les autres pays et organisations des problèmes qui résulteraient éventuellement de la légalisation nationale ». Le Canada adopte la même position. Cela n’empêche pas que le gouvernement cherche déjà à trouver des solutions pour ne pas figurer sur une liste noire: « La question est actuellement sous étude au sein des différents ministères compétents. »

Dans ce contexte, la dernière précision apportée reste un brin contradictoire. « En tout état de cause, le Luxembourg continuera » à porter « un message très fort concernant l’importance de la règle de droit et du respect du droit international », souligne ainsi le ministère des Affaires étrangères. Le ministère de la Santé ajoute qu’il compte continuer « à appuyer pleinement l’objectif général des conventions antidrogues et à adopter une approche constructive et transparente avec l’OICS ».

Le faible risque de sanctions

À Vienne, on attend de pied ferme de plus amples explications. « L’OICS poursuivra son dialogue avec le gouvernement luxembourgeois dans le but de l’encourager à continuer à respecter ses engagements internationaux en matière de contrôle de drogues », précise la prise de position qui est à notre disposition.

Le risque de voir le Grand-Duché sanctionné est cependant minime. La convention est en effet assez limitée sur ce point. Le dialogue que compte donc engager l’OICS est la solution clé reprise dans le texte. L’organe onusien peut ainsi demander au gouvernement de prendre des « mesures correctives ». En cas de refus, l’OICS peut saisir les pays signataires, qui doivent néanmoins adopter par une majorité des deux tiers d’éventuelles sanctions.

Au vu du nombre croissant de pays qui décident de passer outre les limitations de la convention, il est peu probable de voir le Luxembourg se faire taper sur les doigts. Mais en dépit de tout cela, on peut d’ores et déjà affirmer que le Grand-Duché est bien décidé à enfumer l’ONU.

David Marques

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